Description d’un masque de féroce mangeur d’air / Description of a Mask of a Fierce Air Eater

French

Souffle et féroce sont deux entrées possibles dans l’enchevêtrement qui, chez Auxeméry, fait poème.

Féroce désigne un positionnement et un engagement. Souffle, une méthode.

Un positionnement face au « soi‐même » individuel, traqué par le sujet du discours : « On va se surprendre à humer, bientôt. On va renifler la mort qui court » (Les animaux industrieux).

Février 2009, avec Auxeméry (à droite)
(avec l’aimable autorisation de Julien Ségura)

Un positionnement face à l’ordre social spectaculaire décrit avec exactitude par Debord : « notre faim elle signe / ses décrets notre faim en majesté // réseaux de communication rapide lui font la cour / misère à discrétion vilenie servitude » (idem).

Féroce, le signe aussi d’un engagement dans l’efficace, un engagement, alliance et lutte, avec trois poètes si présents dans l’écriture d’Auxeméry : Charles Olson tout d’abord, qu’il traduit depuis trente ans : « how to act fiercely but, with dignity » ; Rimbaud : « Sur toute joie pour l’étrangler j’ai fait le bond sourd de la bête féroce » : et Artaud, son essentielle cruauté : « cette espèce de morsure concrète que comporte toute sensation vraie ».

Souffle annonce une méthode d’application des énergies sur la page, proche d’Olson et de sa conception projective du vers venant investir cette page comme un champ. Pareille méthode se manifeste dans le soin particulier accordé au matériau sonore et dans le mouvement visuel et rythmique du poème (ponctuation, syntaxe, accentuation).

Le souffle, le jazz : « forme qui se forme & s’engendre, / mouvement qui porte au devant, / & forme-enfant » (Codex). Non seulement thème, le jazz est un référent dans la composition des poèmes et des livres. Les animaux industrieux, par exemple, commence et s’achève sur un introït et une coda aux tons et aux lignes proches. Entre les deux, la plupart des poèmes procèdent par variations, à partir d’une phrase initiale dont il faut accomplir l’intensité, et sur une commune unité de mesure : la page.

Le souffle, c’est enfin une certaine Chine, celle de Shitao et de Segalen, du mont Huang Shan et de Li Po. Un certain tao, non dupe du mixage à la mode occidentale de sagesses orientales diverses. Un cheminement intérieur, plutôt, qui équilibre le féroce.

Le cheminement d’un sujet parcourant et parcouru, voix personnelle seulement si l’on entend dans l’épithète la prise en charge de nombreuses personae, la réunion de « faces antonymes » (non pas anonymes), de masques multiples à la fois figures, révélateurs et chambres d’échos.

Souffle et féroce sont deux opérateurs d’un processus de mise en forme-sens. Le sujet énonciateur, qui ne s’aperçoit, pris dans le passage de la nature, que par coïncidence à l’événement, n’est que le résultant de ce processus.

« Auxeméry » ne serait que le nom d’un masque.

— paru dans Fragil, Maison de la Poésie de Nantes, janvier 2009

English Translation

Breath and fierceness are two possible ways to enter into the tangle that creates poetry chez Auxeméry.

Fierceness indicates a positioning and an engagement. Breath, a method. 


A positioning that faces an individual “oneself,” tracked by the subject of the discourse: “One will surprise himself with the smell, soon. One will sniff out death that runs” (Industrious Animals).

A positioning that faces the spectacular social order, described with exactitude by Debord: “our hungerit signs / its decreesour hunger in its majesty // courted by rapid communication // misery in discretion…. villainyservitude” (ibid.).

With Auxeméry (right) in February 2009
PHOTO COURTESY OF JULIEN SÉGURA

Fierceness, also the sign of an engagement in efficiency, an engagement, alliance and struggle, with three poets so present in Auxeméry’s writings — Charles Olson, first and foremost, whom he has been translating the last thirty years: “how to act fiercely but, with dignity”; Rimbaud: “With the silent leap of a sullen beast, I have downed and strangled every joy”; and Artaud, his essential cruelty: “that kind of concrete bite which all true sensation requires.”

Breath indicates a method that applies energies on the page, a method close to Olson and his projective conception of verses coming to invest this page as a field. A similar mode manifests itself in the particular care that is given to acoustic materials as well as visual and rhythmic movement of the poem (punctuation, syntax and accentuation).

The breath, the jazz, “form that forms itself & breeds, / movement that carries to the front, / & child-form” (Codex). Not only a theme, jazz is a referent in the composition of poems and books. Industrious Animals, for example, begins and ends with an introit and a coda of close tones and lines. In-between, most poems behave in variations, beginning from an initial phase that needs the accomplishment of intensity, with a common unit of measurement: page.

The breath is, finally, a particular China, that of Shitao and Segalen, of Huangshan and Li Po. A certain Tao, not fooled by diverse Oriental wisdoms mixed in an Occidental fashion. Rather, it is an unfolding interior that balances the fierceness.

The unfolding of a traveling and traveled subject, a personal voice only if one hears in the epithet the taking over of numerous personae, the reunion of “antonymous (not ‘anonymous’) faces,” and multiple masks that are figures, revealers and echo chambers.

Breath and fierceness are two operators of a process that molds form and sense. The enunciator subject, caught in the passage of nature, only becomes aware of himself in coincidence with events, and is only the result of this process.

“Auxeméry” would just be the name of a mask.

TRANSLATED FROM THE FRENCH BY Greta Aart

Printed from Cerise Press: http://www.cerisepress.com

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