Les deux vieilles demoiselles / The Two Old Maids

French

La voix appelait toujours, tantôt proche, tantôt plus lointaine. Au bout d’un temps, elle se tut. Eux n’y faisaient plus attention. Jeanne avait mis ses fleurs dans le creux de sa jupe ; elle en choisit une et la fit sentir à son amoureux ; après on comprit qu’elle lui disait de la garder pour lui ; lui ne voulait pas ; elle eut l’air fâchée, elle bouda et lui eut l’air triste. Mais tout cela ne dura pas, ils s’embrassèrent encore. Ils étaient en pleine lumière, on les voyait sourire, ils n’arrêtaient pas de causer.

Mademoiselle Rosalie essayait de comprendre mais ils étaient trop loin. « Qu’est-ce qu’ils se disent ? » se demandait-elle. Puis elle s’interrogea. Et elle, qu’est-ce qu’elle aurait dit ? qu’est-ce qu’on lui aurait dit ? Mais on ne lui avait rien dit. Elle découvrait tout au fond d’elle des mots qui n’avaient pas servi. Elle aussi elle aurait pu être assise avec son bon ami sous l’arbre. Aussitôt la parole est rendue ; elle devinait tout : on est emporté, c’est un mouvement comme celui du vent et des vagues, c’est une grande impulsion. Alors, sous la lune et dans la nuit bleue, Mademoiselle Rosalie sentit ses paupières se mouiller.

Toutefois, Mademoiselle Henriette était allée chercher les allumettes à la cuisine. On les tenait dans une boite, clouée au-dessus du fourneau. Pourquoi ne les trouvait-elle pas ? Ses mains tremblaient un petit peu.

Aussitôt la parole est rendue ; elle devinait tout : on est emporté, c’est un mouvement comme celui du vent et des vagues, c’est une grande impulsion.

Elle, elle se disait : « Quelle idée est-ce que j’ai eue de me mettre à cette fenêtre ? quelle idée surtout de rester là à regarder ? Est-ce que c’était notre place ? »

Elle continua : « Des enfants ! est-ce qu’on peut imaginer ? Moi qui les ai connus tout petits. Voilà des manières ! Si leurs parents savaient… N’est-ce pas une honte ? »

Et puis, songeant à sa sœur : « Je ne comprends pas Rosalie, qu’est-ce qu’elle a eu d’être si curieuse ? »

Elle avait trouvé les allumettes ; elle en frotta une : bon ! la mèche n’était pas mouchée. Elle la moucha. Comme c’est difficile de moucher une lampe ! Puis le verre lui glissa des doigts ; un peu plus, il se brisait sur le carreau. Elle fut longtemps avant d’être prête.

En rentrant dans la chambre, elle posa la lampe sur la table. Mademoiselle Rosalie était toujours à la fenêtre, mais elle avait le dos tourné.

— Allons, Rosalie, dit Mademoiselle Henriette, est-ce que tu viens ?

Rosalie ne répondit pas.

— Rosalie, reprit-elle, voyons !

Alors ce qu’elle vit la remplit de surprise. Rosalie pleurait. De grosses larmes avaient coulé le long de ses joues, elle avait les yeux tout rouges. Mademoiselle Henriette voulut se fâcher ; elle ne put pas, elle fut gagnée. Elle prit une chaise et la poussa près de sa sœur.

— Rosalie, dit-elle, Rosalie… M’aimes-tu ?… Aimons-nous bien…

Et elle sentit aussi les larmes qui venaient.

Les amoureux n’étaient plus là. Un homme attardé passa et se moucha au coin de la rue.

English

The voice continued calling, sometimes coming near, sometimes moving farther away. After a while, it quieted. The couple paid it no more attention. Jeanne had put her flowers in the scoop of her skirt. She selected one and had her beloved smell it. It was clear she told him to keep it, but he didn’t want to and she looked angry. She sulked and he looked sad. But this didn’t last long and they kissed again. The moonlight was full on them, even their smiles were visible. They didn’t ever stop talking.

Miss Rosalie tried to make out their words but they were too far away. She wondered what they were saying to one another. Then she asked herself—what would she have said? What would someone have said to her? But no one had ever said anything to her. She discovered deep inside herself the words which had never been needed. She, too, could have once sat beneath a tree with a special friend. As soon as she found the words, she understood the rest. It was like being taken away, a movement like the wind or the waves, like a great force. And so, beneath the moon and the blue night, Miss Rosalie felt her eyelids dampen.

Miss Henriette had gone to look for the matches in the kitchen. They kept them in a box, nailed above the furnace. Why couldn’t she find them? Her hands shook a little.

As soon as she found the words, she understood the rest. It was like being taken away, a movement like the wind or the waves, like a great force.

She wondered what had given her the idea to sit at the window, and, more than that, what had made her stay and watch.

She continued to herself, “Children! Can you imagine? I’ve known them since they were little. Look at how they go about! If their parents knew… Isn’t it a shame?”

And then, thinking of her sister, she told herself she didn’t understand Rosalie, she wondered what had made her sister so curious.

She found the matches. She struck one: good! The lamp wick wasn’t trimmed. She trimmed it. It’s so difficult to trim a wick! Then the glass slid through her fingers, a little further and it would have broken on the floor tiles. She took a long time to finish what she was doing.

Returning to the room, she placed the lamp on the table. Miss Rosalie was still at the window, but her back was turned to it.

“Come on, Rosalie,” Miss Henriette said, “Are you coming?”

Rosalie didn’t answer.

“Rosalie,” she said again. “Look here…”

And what she saw filled her with surprise. Rosalie was crying. Huge tears had run down her cheeks and her eyes were all red. Miss Henriette wanted to get angry, but she couldn’t. She was overcome. She took a chair and pushed it close to her sister.

“Rosalie,” she said. “Rosalie… don’t you love me?” She paused. “Let us love each other well enough…” And she too felt the onset of tears.

The lovers were no longer there. A late passerby appeared outside and blew his nose at the corner of the street.

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