Cendrier marée basse / Ashtray Low Tide

French

Il y a des corps, certains noyés. Après, vous ne pouvez pas vous tromper : ce n’est plus habité. Il n’y a plus qu’un mur sur deux. Il y a les rampes d’anciens lancements, des escaliers, et sur la table un soleil vide, un livre éteint. La jeune fille assise là, vous pouvez la toucher : elle est tout à fait morte.

C’est noir comme une voilette, comme une étable sous la terre. Calme comme l’horizon des tempêtes. C’est inquiet comme une aile dans l’amour. C’est la neige sur la cendre et le duvet des ruines. Il y a un chien, une camionnette.

Poussière de lion, vautour enfant de l’impatience. Celle qui regarde l’homme tend des cordes dans le ciel, celle qui attache le ciel tend ses armes à la rouille.

Couleur de lit, la mère s’étale sur le boulevard. L’air renonce. Il pousse des crimes dans les violettes et des absences poussant leur ombre. Il pousse une rage sur un comptoir.

Le corps du monstre, c’est une pièce de monnaie dans l’eau rousse des enfers. On forme un ou cent vœux, la terre ne tourne plus, le chien passe sous la camionnette. Une fleur obscure balance sa haine entre deux vies.

Les ténèbres étroites — et sa main retombait. Ce qu’elle voulait dire, c’est qu’elle en revenait, de l’étroitesse et de l’opaque. Elle en revenait à peine. La veille encore, on l’y aurait trouvée. La veille encore. Si on avait cherché.

Elle est seule, vous pouvez la toucher. Elle est nue. Vous pouvez.

PIERRE PEUCHMAURD, Le Tigre et la chose signifiée
(Chauvigny, L’Escampette, 2006, pp. 21-22)
REPRINTED WITH THE PUBLISHER’S PERMISSION

English Translation

There are bodies, some of them drowned. No doubt now: this place is deserted. A single wall stands where two once stood. There are boarding ramps on old boat launchings, staircases, and on the table, an empty sun, a book asleep. You can touch the girl seated there: she’s utterly lifeless.

It’s as dark as a veil, as a stable inside the earth. Quiet like the horizon under storms. It’s as fretful as a wing love encages. It’s like snow fallen on ash and ruins that spread like a blanket. There’s a dog, a caravan.

The dust of lions, the impatient child of prey. She who watches man also tightens ropes in the sky, she who binds the sky hands her weapons over to rust.

The bed-colored sea covers the boulevard. Air surrenders. It sings or sins in violet fields and the feeling of absence grows or grows dim. Air tosses its wrath onto a counter like change.

The monster’s body is a coin sinking in hell’s ruddy waters. You express a wish or a hundred, the earth has stopped turning, the dog rolls under the caravan. In between lives, a shadowy flower learns to handle its hatred.

Narrow shadows. Her dropped hand. What she actually meant was that she’d returned from that narrow and opaque place. She’d just returned. Just yesterday, you still would’ve found her there. Yesterday only. If you’d looked for her.

She’s alone, you can touch her. She’s naked. Yes, you can.

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